De la cueillette des fleurs des prés en bords de route, bords de Loire et chemins de mon enfance : marguerites, violettes, coucou, bouton d’or, saponaires, je suis passée à l’adolescence à reconnaître comme nuisibles, celles qui concurrencent les plantes cultivées (passage dans un lycée agricole !) à savoir entre autres : liseron, les gaillets, véroniques, coquelicots, chardon… ; dans les cultures toutes étaient indésirables ; j’ ai fait des herbiers de toutes pour les retenir comme « non grata » ; je n’ai pas su faire fi du langage, de la tendresse procurée des bouquets offerts pour ce qui est des fleurs de l’ enfance .
Bien plus tard la découverte du concept écologie ( préservation des milieux naturels, des ressources en vue de la bonne santé de l homme surtout!) m’a fait porter un autre regard sur toutes ; les premières ont conservées leur galon à mes yeux ; et puis les coquelicots sont réapparues dans les champs de céréales ou de prairies cultivées, ! Et combien de photos ai je fait et envoyées, de ces champs de blé et d’orge tachetés du rouge sang des coquelicots, et de ceux téméraires qui avaient percé le macadam ; j’ai opté pour un regard plus suspicieux avec les nuisibles que j’ai décidé d’appeler les indésirables et que j’appelle encore indésirables où que je désherbe ; j’avoue avoir moins de tendresse pour certaines en leur accordant toutes fois une attention délicate sur leur discrétion, leur timidité ou moins bienveillante quant à leur ardeur à pointer des feuilles rêches et rugueuses au ciel et des racines fournies et tenant au sol …leur vie en dépend ; le coquelicot, encore lui, sait se parer et me séduire : comment résister à son éclaboussure rouge défiant le soleil et à l’odeur des violettes tapies à l’ombre des haies et comment ne pas m’amuser à jouer avec le chiendent jusqu’à évaluer la longueur de ses racines!
Encore plus tard, un ami, paysan, éleveur m’a dit un jour en parlant de la mise à mort de l’animal : et le cri de la carotte que tu arraches , celui de la salade ? Présent en moi désormais, des savoirs de comportements des plantes entre elles, savoirs ancestraux souvent d’attirance ou de répulsion entre elles ou avec les animaux ( une variété d’acacia dont la girafe est friande, sécrète de l éthylène pour se protéger). Bref l’intelligence, la sensibilité ne sont pas le propre de l’ homme, la gente végétale n’y échappe pas ; nous partageons avec elle l’usage du sol ; elles colonisent notre environnement car elles y trouvent satisfaction de la terre et du climat qui les nourrit. Beaucoup de préjugés liés à l’ignorance, à la culture.
Un mot quand même du désherbage ; je pense parfois à ces considérations quand je l’effectue ; l’objectif est celui de rendre un passage confortable à celui qui le pratique quelque soit le temps, de prendre soin des plantations et de la végétation spontanée pour la mettre en valeur de façon détendue, en conscience du geste et de mon environnement le plus possible, me laissant traversée par le ciel et la terre, leur énergie parfois grisante et enveloppante, surtout ces derniers mois. Parfois une pause est la bienvenue pour reposer le corps d’une posture trop longtemps maintenue: un changement d’appui peut être suffisant, boire aussi, prendre de la hauteur et porter le regard alentours ; j’oubliais les outils : la main seule, quand la terre est meuble, la pointe d’un couteau et la précieuse gouge pour les racines profondes.
Petit à petit le regard porté sur le désherbage s’est allégé de la notion de tâche ingrate, indéfiniment remise à la prochaine fois, enrichi de lâcher prise ; ma culture fait que j’ai un penchant naturel à la fois pour le désordre apparent des herbes folles des talus, des cours, des jardins, des prairies naturelles…, le même penchant pour l’agencement végétal du jardin « anglais » , celui plus rigoureux du jardin à la française, celui méditatif du jardin zen et celui enfin de la végétation des alpages du Vercors, de la Chartreuse, des landes bretonnes et des monts d’Auvergne …les paysages caillouteux d’ailleurs et ceux jamais pietinés mais rêvés des pays du Nord.